Dissociant depuis longtemps le régime matrimonial de la prestation compensatoire, la Cour de cassation confirme, dans cet arrêt rendu le 21 septembre 2022, son refus de prendre en compte, au moment du divorce des époux, la liquidation à venir de leur patrimoine commun pour déterminer le montant de la prestation compensatoire. Rendue contra legem, cette solution désormais bien ancrée mériterait pourtant d’être aménagée, voire délaissée.
Un couple marié sans contrat de mariage avait divorcé selon un jugement ayant, d’une part, ordonné la liquidation et le partage de leurs intérêts patrimoniaux et, d’autre part, fixé à 150 000 € le montant de la prestation compensatoire due par l’époux. En appel, le jugement avait été confirmé mais le montant de prestation compensatoire rehaussé à 250 000 €. À la suite d’un premier pourvoi, l’arrêt d’appel avait été cassé en ses dispositions relatives au montant de la prestation compensatoire (Civ. 1re, 3 oct. 2019, n° 18-18.574). Sur renvoi, la juridiction du second avait finalement fixé le montant de la prestation compensatoire à 200 000 €, abstraction faite du patrimoine commun du couple. L’époux succombant avait formé un nouveau pourvoi reposant sur deux moyens : concernant les dépens de la décision cassée, le second n’appelle pas ici d’observations particulières, au contraire du premier, relatif à l’appréciation du montant de la prestation compensatoire. Le demandeur au pourvoi soutenait la nécessité de prendre en compte la future liquidation de la communauté de biens entre époux pour déterminer le montant exact d’une prestation compensatoire. Dans cette perspective, il estimait que la cour d’appel aurait dû rechercher si la liquidation et le partage à venir du patrimoine commun n’était pas de nature à réduire les besoins de l’épouse créancière. Les juges du fond auraient ainsi privé leur décision de base légale au regard de l’article 271 du code civil (§ 5). Sans surprise, le pourvoi est rejeté, la première chambre civile, approuvant les juges du fond d’avoir retenu « à bon droit » que « la liquidation du régime matrimonial des époux étant par définition égalitaire, il n’y a pas lieu de tenir compte de la part de communauté devant revenir » à la créancière pour apprécier la disparité créée par la rupture du lien conjugal dans les situations respectives des époux (§ 6).
Réaffirmant son refus de prendre en compte la liquidation à venir du régime matrimonial pour la fixation de la prestation compensatoire (v. déjà, Civ. 1re, 1er juill. 2009, n° 08-18.486 ; Civ. 2e, 20 mars 1996, n° 94-16.594), la Haute cour s’emploie à fonder en droit une solution qui ne se justifie qu’en fait. En effet, lorsqu’au moment du divorce, le juge est amené à statuer sur le montant d’une prestation compensatoire, il ignore encore, à ce stade, le résultat de la liquidation et du partage du régime matrimonial. Ces opérations prenant généralement du temps, la Cour refuse en conséquence d’en tenir compte pour fixer le montant de la prestation compensatoire. Il est vrai que l’inverse supposerait que le juge sursoie à statuer ou chiffre lui-même la communauté à liquider, non sans risque d’erreur. Pour surmonter cette difficulté pratique, la Cour de cassation juge naturellement en droit qu’il n’y a pas lieu de se soucier «de la part de communauté devant revenir à chacun des époux pour apprécier la disparité », sous prétexte que « la liquidation du régime matrimonial des époux (est) par définition égalitaire ». Or cette affirmation est, sous plusieurs aspects, contestable.
Tout d’abord, la Cour raisonne comme si l’égalité propre au régime communautaire était parfaite. Pourtant, s’il est vrai que chacun des époux a droit à la moitié du boni de la communauté (ie excédent d’actif résultant de la liquidation du régime), chacun a aussi droit au solde de son compte de récompense, lequel crée une disparité entre les époux. En effet, les droits liquidatifs ne se limitent pas à ceux portant sur la communauté nette ; ils englobent également le solde des comptes de récompense, connus pour être inégalitaires, soit que l’un des époux ait la qualité de débiteur quand l’autre se trouve créancier du solde, soit que chacun ait la qualité de débiteur ou de créancier du solde dans d’inégales proportions. Prenons l’exemple d’une communauté chiffrée à 500 000 €, débitrice de deux soldes de récompense : 50 000 € au profit de A et 150 000 € au profit de B. Le boni de communauté (actif - passif) s’élève à 300 000 € (500 000 - 200 000). Chacun des ex-époux a droit à la moitié de ce boni, donc 150 000 €, mais chacun a droit également au solde de son compte de récompense : ainsi, le total des droits de A se chiffre donc à 200 000 € et le total des droits de B à 300 000 €. S’en tenir, comme le fait la Cour, à l’égalité purement arithmétique des droits des époux sur le boni de la communauté pour en déduire qu’in fine, la liquidation ne pourra en aucun cas influer sur la disparité de leurs situations respectives, semble très théorique.
Ensuite, la Cour raisonne comme si l’égalité propre au régime communautaire était immuable. Après la teneur des règles liquidatives, c’est donc la liberté reconnue aux époux de conclure des conventions liquidatives dont la Cour semble ignorer l’existence. Pourtant fréquentes en pratique, celles-ci permettent aux époux, durant l’instance en divorce, de rompre l’égalité consubstantielle au régime légal en aménageant ses règles, au profit de l’un d’eux.
Enfin, la Cour raisonne comme si la disparité propre au régime de la prestation compensatoire était figée. L’article 271 oblige pourtant le juge à tenir compte de la situation des époux non seulement au moment du divorce, mais également « dans un avenir prévisible », le texte érigeant même expressément en critère d’évaluation « le patrimoine (…) prévisible des époux, (…), après la liquidation du régime matrimonial ». Futurs mais prévisibles, les droits dans la communauté devraient donc être pris en compte. D’évidence, le résultat des opérations de liquidation et partage aura nécessairement une influence sur le contenu des patrimoines respectifs des époux, modifiant en conséquence les besoins du créancier et les ressources du débiteur de la prestation. Par exemple si ce dernier se voit attribuer un bien particulièrement rentable. Pourtant, la Cour continue de s’opposer à ce que les juges se déterminent en fonction de « l’origine des biens composant l’actif de la communauté » (Civ. 1re, 21 oct. 2015, n° 14-25.316). Ainsi la Cour de cassation entretient-elle une jurisprudence contraire à la loi comme à l’équité, au motif contradictoire de l’égalité de situations des époux mariés sous le régime de la communauté.