Aux termes de l’article 371-4 du Code civil, seul l’intérêt de l’enfant, qui jouit du droit d’entretenir des relations personnelles avec ses ascendants, peut autoriser le juge à refuser l’exercice de ce droit. Toutefois, à l’effet de préserver le droit de visite de ses grands-parents, l’intérêt de l’enfant n’est pas apprécié à l’aune des sentiments qu’il exprime. Tel est l’enseignement de l’arrêt rapporté.
Privés par leur belle-fille de tout contact avec leurs petits-enfants, des grands-parents avaient saisi un juge aux affaires familiales pour que soient fixées les modalités de leurs relations personnelles avec l’aîné d’entre eux. À la suite de cette décision, la mère des enfants fit grief à l'arrêt d’appel d’avoir accordé à ses beaux-parents un droit de visite, ainsi qu’un droit de correspondance par téléphone ou par courrier, à l'égard de son fils aîné alors que dans son audition, ce dernier, âgé de treize ans, avait exprimé son refus de maintenir un lien avec ses grands-parents. Au mépris de l’obligation de tenir compte des opinions et sentiments manifestés par le mineur doué de discernement dans toute procédure le concernant, la juridiction du second degré aurait ainsi alloué des droits à ses beaux-parents au motif, contraire à ce que son fils avait indiqué lors de son audition, qu’il en allait de son intérêt. Le pourvoi est rejeté par la Cour, approuvant la cour d’appel, qui n'était tenue ni de préciser la teneur des sentiments exprimés par l'enfant lors de son audition ni qu'elle avait pris en considération les sentiments exprimés par celui-ci, d’avoir retenu qu'afin de ne pas supprimer irrémédiablement tout rattachement des trois enfants à leur lignée paternelle au seul motif de l'absence de lien entre la mère des enfants et ses beaux-parents, un droit de correspondance et un droit d'accueil devaient être accordés à ces derniers.
On rappellera que si les père et mère d’un enfant contrôlent ses fréquentations, ils ne peuvent pas faire obstacle au maintien comme au développement de certaines relations. Ils doivent ainsi respecter les liens qui unissent l’enfant au second parent (sur le principe de coparentalité, v. C. civ., art. 372 s.), ainsi qu’à ses frères et sœurs (C. civ., art. 371-5). Dans le même sens, ils ne peuvent empêcher leur enfant d’avoir des contacts avec ses aïeuls : « (l’enfant) a le droit d’entretenir des relations personnelles avec ses ascendants » et « (seul son) intérêt (…) peut faire obstacle à l’exercice de ce droit » (C. civ., art. 371-4, al. 1er). Par ailleurs, le juge présume qu’il est de l’intérêt des enfants d’entretenir des relations personnelles avec leurs grands-parents, à moins qu’il ne soit justifié de motifs graves contraires à cet intérêt (Civ. 1re, 1er déc. 1982, n° 81-14.627).
En outre, dans l’ordre supranational, le droit au respect de la vie familiale a été reconnu comme pouvant être invoqué par les grands-parents (CEDH 27 avr. 2000, L. c/ Finlande, n° 25651/94), bénéficiaires d’un droit de visite. Cette notion de « droit de visite », non réservée aux parents de l’enfant, devant être interprétée comme incluant, parmi ses bénéficiaires, les grands-parents (CJUE 31 mai 2018, n° C-335 /17). Lorsque comme en l’espèce, les parents ou l’un d’entre eux s’opposent injustement à ce que leur enfant rencontre ses grands-parents, ces derniers peuvent donc obtenir en justice le droit de correspondre avec lui, de lui rendre visite et de l’héberger de temps en temps (Civ. 1re, 1er déc. 1982, préc. ; 14 janv. 2009, n° 08-11.035). La protection des liens que l’enfant entretient avec ses grands-parents est encore renforcée par la liberté dont le juge, déjà souverain en la matière (Civ. 1re, 13 déc. 1989, n° 87-20.205), bénéficie quant à la détermination des modalités de leur droit de visite et d’hébergement (Civ. 1re, 13 juin 2019, n° 18-12.389 : si l’article 1180-5 du Code de procédure civile dispose que lorsque le juge décide que le droit de visite de l’un des parents s'exercera dans un espace de rencontre, en application des articles 373-2-1 ou 373-2-9 du Code civil, il fixe la durée de la mesure et détermine la périodicité et la durée des rencontres, ce texte n’est pas applicable aux relations entre les enfants et leurs grands-parents). Elle se trouve encore accrue, par la décision commentée, par la liberté reconnue au juge de tenir compte des sentiments de l’enfant : autorisé à s’en affranchir pour rendre et motiver sa décision (« la cour d’appel, qui n'était tenue ni de préciser la teneur des sentiments exprimés par l'enfant ni qu’elle avait pris en considération les sentiments exprimés par celui-ci »), le juge apprécie souverainement, abstraction faite de l’avis de l’enfant, s’il y a lieu ou non d’accorder un droit de visite aux grands-parents.
Au cas d’espèce, en l’absence de contrariété de ce droit à l’intérêt de l’enfant, aucun autre motif ne pouvait être opposé à ses grands-parents pour leur refuser l’octroi des droits demandés : ni les sentiments exprimés par leur petit-fils, ni le motif avancé par la mère de l’enfant, purement personnel et non légitime (« au seul motif de l’absence de lien entre la mère des enfants et ses beaux-parents ») dès lors qu’il se révélait étranger à l’intérêt de l’enfant, le seul critère, rappelons-le, à prendre en considération pour faire obstacle à l’exercice des droits légalement reconnus aux grands-parents de l’enfant. Ainsi la Cour de cassation consacre-t-elle, pour la première fois, la réciprocité des droits à protéger dans le cadre des relations de l’enfant avec ses grands-parents. Le texte de l’article 371-4 du Code civil ne peut s’interpréter comme attribuant le droit aux relations personnelles exclusivement à l’enfant, et non aux ascendants, ce qui reviendrait en fait à nier tout droit à ces derniers.